Nous sommes avec Marc-André Éthier, professeur à l'Université de Montréal. Marc-André, tu as beaucoup travaillé en éducation à la citoyenneté, sur la pensée historienne, mais récemment, c'est le jeu sérieux qui a retenu ton attention. En fait, qu'est-ce que le jeu sérieux, d'abord? Tout d'abord, il faut dire que, comme tu l'as dit, c'est relativement nouveau dans mon expérience de prof de travailler là-dessus, ma recherche ne porte pas à l'origine sur ça, donc je ne pouvais pas dire que j'ai une définition qui est la meilleure, mais celle qui me convient pour faire le travail que je fais, elle me suffit amplement en tout cas, c'est de dire d'abord avant tout qu'un jeu sérieux, on y va avec les mots, c'est un jeu, c'est ludique, mais c'est pour apprendre. Il y a un but qui est sérieux, qui est important, et un des exemples les meilleurs de ça, à mon avis, c'est peut-être celui entre les plus connus, des simulateurs de vol, où là, on a à faire quelque chose qui est très sérieux, qui est très important, on veut réussir parce qu'il y a des vies en jeu, mais on veut donc être un bon pilote, on peut s'amuser, mais le but n'est pas d'abord de s'amuser, quand c'est évidemment une simulation de vol pour apprendre à devenir pilote. Ça peut être autre chose, ça peut être juste un jeu, mais si le but est d'apprendre, bien, le moyen est, on prend le meilleur moyen possible dans ce que ce soit un jeu. Donc le jeu sérieux, c'est pour apprendre, en tout cas à l'école. Tu as réalisé récemment une expérience assez intéressante dans plusieurs classes du Québec, en fait, avec le jeu Origins d'Ubisoft. Il faut dire que Ubisoft a proposé une espèce de scénario plus pédagogique à l'intérieur justement d'Alexandrie et du Caire. Donc, c'est quoi les résultats de cette étude-là? Effectivement, c'est une étude qui est intéressante qu'on a menée l'automne 2017, et ça se passait dans 9 écoles de la région du Grand Montréal. On a rassemblé des élèves, 40 élèves par école, qu'on a divisé en deux groupes, tiré au hasard. Un groupe qui avait un enseignement traditionnel et un groupe qui avait un enseignement avec le mode découverte qui est, en effet, produit par Ubisoft en lien avec un jeu vidéo qui existe déjà, mais cette fois dépourvu de violence et associé simplement à un parcours de découverte dans différents points d'attraction de ce jeu-là, dont les bibliothèques d'Alexandrie. Or, nous avons pris les bibliothèques d'Alexandrie comme objet d'enseignement. La moitié qui avait un prof traditionnel recevait un cours de 12 minutes et l'autre moitié faisait le parcours par elle-même durant 12 minutes aussi. Si Alexandre a estimé le site idéal pour sa grande cité, il posait néanmoins de nombreux problèmes. L'accès était extrêmement difficile lors des tempêtes, les marais voisins étaient malsains et le sol calcaire ne convenait guère aux cultures. Mais influencé par son mentor Aristote, Alexandre comprit que la véritable valeur de ce lieu était son emplacement stratégique. Pour voir la différence d'apprentissage, on a fait d'abord un prétest avec une série de questions qui portaient sur cet objet-là spécifiquement et on a reposé les mêmes questions au bout des 12 minutes à tous les élèves pour voir donc l'écart entre l'avant et l'après, entre le groupe test et le groupe témoin. Et le résultat, c'est ce qui est intéressant, c'est que tous ont appris. On n'est pas assez d'une vingtaine de pourcent de taux de bonne réponse à 40 à 50 % de taux de bonne réponse. Il y avait par contre des différences entre les deux types de groupes. Le groupe qui avait l'enseignement magistral traditionnel et le groupe qui avait l'enseignement non traditionnel n'ont pas réussi de la même façon. Ceux qui ont tous réussi mieux, je le répète, mais ceux qui avaient le groupe, ceux qui ont fait le tour guidé sont passés de 22 à 44 %, donc ont presque doublé leur taux de succès. Et ceux qui avaient le prof sont passés de 23 ou de 22 aussi à 53 %, donc ils ont augmenté davantage le taux de bonne réponse. Leur score était meilleur après que les autres, mais les deux ont appris. C'est intéressant de voir ça. Tout à fait. En fait, c'est peut-être parce que le prof, dans le fond, a plus ciblé les apprentissages tandis que dans le jeu comme tel, les élèves avaient plus à découvrir l'information, donc c'est peut-être moins explicite comme enseignement. Justement, par rapport aux jeux, il y a ce caractère-là dans les jeux qui est la découverte, l'aventure, l'enquête, donc des choses où on peut travailler. Autre chose, dans le fond, que les connaissances déclaratives. Est-ce que justement cet aspect-là, enquête, peut amener les élèves à développer des compétences ou quelque chose qui se rapproche à la méthode historique, par exemple? Oui, c'est une bonne question. En fait, en effet, notre recherche a juste montré qu'on pouvait apprendre des choses qui sont liées aux connaissances déclaratives. Tout le reste, on ne l'a pas mesuré. On ne sait pas combien de temps ça dure. Donc, tout l'aspect réflexion est mis de côté et on voudrait le développer davantage. Puis on voit que ça se fait, il y a des profs, Frédéric Hiel par exemple, fait avec ses élèves un travail sur Unity qui est un autre jeu de la même série, Assassin's Creed, où il ne fait pas jouer les élèves à Assassin's Creed. Il leur fait réfléchir au débat qu'il y a eu à propos de ce jeu-là parce qu'on s'en rappellera, il y a une coupe d'années, il y avait un grand débat en France à l'occasion des élections présidentielles qui s'en venaient à propos de la révolution comme elle était dépeinte dans le jeu. Et donc, les gens disaient, c'est récupéré, c'est transformé, d'autres disaient, ben là, vous exagérez. Bref, il y a eu un débat et il est fait travailler là-dessus sur le débat, mais à partir des sources d'époques, des sources qui elles-mêmes sont contradictoires. Donc, il y a plusieurs épaisseurs de réflexion là-dedans et ça marche. Les élèves, en tout cas, on n'a pas mesuré avec d'autres, il y aurait eu un autre enseignement, mais les élèves, avec ce cours-là, cette façon d'enseigner-là, ont appris et ont développé leur pensée critique davantage. Donc, on peut le faire. Puis, il y a une forme d'enquête là-dedans qui a un effet très motivant et qui est aussi associé à ce qui est vraiment l'histoire, dans le fond. C'est d'abord une enquête. Alors, là, ils foncent là. Dans plusieurs classes des commissions scolaires marguerite-bourgeois, de l'énergie et des découvreurs, les élèves ont utilisé Minecraft pour recréer les sociétés à l'étude en univers social. Bon, Minecraft, c'est un jeu de construction, mais fondamentalement, ça reste pour les élèves un jeu. C'est quoi l'intérêt de ce type de jeu-là? Bien, l'intérêt pour cette tâche particulière qui leur a été donnée, c'était qu'il s'agissait d'un vrai problème. Ils devaient résoudre un problème réel qui était celui d'une reconstruction, dans le fond, d'une pièce d'architecture de la Nouvelle-France. Et ils se faisaient, ils devaient réfléchir, ils devaient apprendre, savoir ce que c'était et le reproduire. Donc, il y avait quelque chose de réel à faire. Ils l'ont fait avec beaucoup de sérieux, donc on voit que c'est intéressant, que ça fonctionne, il y a des apprentissages. En même temps, les profs qui ont été interviewés après, ils disaient qu'il fallait être vraiment aux aguets pour que les élèves ne soient pas distraits par le jeu lui-même, parce qu'il y a cette possibilité-là. C'est un jeu, comme tu l'as dit tantôt, c'est intéressant et donc on peut vouloir jouer plutôt que d'apprendre. C'est pas toujours opposé, mais parfois, ça l'est. Donc, il faut s'assurer que les élèves restent à la tâche, qui comprennent bien le sens d'activité aussi, parce que le but, c'est un peu ça, c'est qu'il y a du sens et de la significance. Si ça devient juste une tâche, un pensombe, une tâche plate, c'est pas mieux. Donc, on veut qu'ils voient que c'est une vraie tâche, qu'ils l'amènent jusqu'au bout. Et pour ça, il faut la comprendre nous-mêmes comme enseignants et voir où on veut aller avec ça, quels sont nos objectifs pour bien organiser tout le dispositif, puis s'y tenir aussi. Donc, c'est semble-t-il que s'est passé avec cette tâche-là. Après, j'ai pas mené l'enquête, c'est des collègues qui l'ont mené et puis j'ai lu les résultats. C'était assez intéressant. Ils ont été sérieux, ils ont appuyé, mais ça prend du temps et ça prend une formation de la part de l'enseignant qui doit comprendre ce qu'il fait. Ça a l'air simple comme ça, mais ce n'est pas, on sous-estime des fois la difficulté des choses. Donc, il y a un aspect coût-bénéfice, dans le fond, c'est qu'il y a une tâche réelle, puis l'aspect jeu, il faut qu'il trouve véritablement sa place dans l'espèce d'intention pédagogique que le prof a par rapport à ça. C'est le bon moyen pour atteindre la fin qu'on se donne. Tout à fait. Donc, il y a beaucoup de recherches à faire dans le domaine, dans l'apport réel des jeux en éducation. Puis bon, ce qui est vrai, en fait, d'ici là, c'est qu'on peut apprendre et jouer à l'école. Ça, c'est certain, encore. Donc,merci Marc-André. Cette capsule fait partie des parcours de formation du Service national du récit de l'univers social. Pour consulter les parcours, visitez l'adresse suivante. www.recitus.qc.ca/parcours